Le 23 juin 2023, Hortense Belhôte présentera sa Conférence Spectaculaire nommé « Une histoire du football féminin » à la bibliothèque Marguerite Durand, à Paris. Femix’Sports s’est entretenue avec Hortense Belhôte, à l’origine de ce « cours performé ».
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Hortense Belhôte, j’ai 35 ans, je suis comédienne et historienne de l’art. j’ai longtemps joué d’un côté et enseigné de l’autre et depuis quelques années je fais les deux en même temps.
Qu’est-ce que la “conférence spectaculaire” ?
Je ne suis pas particulièrement attachée à la dénomination mais il fallait trouver quelque chose qui fasse un peu sérieux et un peu chelou en même temps. On aurait pu dire “cours performé”, “spectacle pédagogique” , “vulgarisation positive”, … je ne sais pas c’est infini, si vous avez des idées je suis preneuse…
Plus concrètement, mes conférences spectaculaires durent une petite heure, pendant laquelle je suis sur scène avec un vidéo projecteur, un système son et quelques éléments de costume. Je parle d’un sujet historique sur lequel j’ai fait des recherches dans des livres, sur internet, lors de séminaires universitaires ou auprès de personnes ressources. Lorsque cela me semble nécessaire, je fais appel à d’autres niveaux de connaissance, plus empiriques et intimes, en évoquant mes souvenirs, ma propre “petite” histoire en parallèle de la “grande”, et la culture pop.
Comment l’idée d’amener le football dans vos “conférences spectaculaires” est-elle venue ?
Cela a commencé quand j’avais 28 ans lorsqu’une amie m’a proposée de m’inscrire avec elle dans un club de foot féminin, militant et lgbt parisien : les Dégommeuses. La prise de conscience a été double : d’abord je me suis rendue compte que malgré le plaisir que j’avais toujours eu depuis mes 6 ans à jouer au foot, c’était la première fois que l’on me faisait cette proposition, et que n’ayant fait aucun effort particulier pour contrer ce déterminimse, j’avais en fait inconsiemment accepté que mes désirs et mes pratiques soient conditionnés par ma condition de femme. Ensuite j’ai découvert le sport comme terrain de contestation et d’expérimentation politique au sens large, qu’il s’agisse de la domination masculine, de la visibilité homosexuelle, de la violence de classe, des rapports Nord / Sud ou de la société du spectacle. On peut y rejouer toutes les grandes questions humaines. C’est de là qu’est née l’idée d’une recherche en vue d’un spectacle sur l’histoire du football féminin, alors même que je ne suis pas une “grande” footballeuse. Loin de là 🙂
Vous avez déjà réalisé votre conférence à plusieurs reprises. Quels retours avez-vous eus ? Le public était-il déjà au fait de cette histoire ?
J’ai commencé à tourner cette conférence en janvier 2019, c’est-à-dire quelques mois avant la coupe du monde féminine qui a eu lieu en France. J’ai vu un véritable changement entre avant et après cet événement. La Fédération Française de Football a fait un effort de communication, une partie de la presse a suivi, on a offert des places à des scolaires dans les stades, et les Bleues sont allées jusqu’en quart de finale. Cela a fait parlé de cette pratique qui était perçue par beaucoup alors comme marginale. On a découvert des joueuses, on a imprimé des maillots à leurs noms et on a vu des matchs à la télé, c’était déjà énorme.
Quelles ont été les différentes étapes pour passer de l’histoire au spectacle ?
Il n’y a pas d’étapes de l’un à l’autre dans mon travail, tout avance en même temps. J’écris en même temps que je lis, que je pense à des costumes et que je compose le powerpoint. C’est d’une même lancée. Ce qui a été important pour la concrétisation du spectacle, ça a été la rencontre avec Mickaël Phelippeau, un chorégraphe, et Manon Crochemore, la directrice de production avec qui il travaille, et qui m’ont fait confiance pour produire et accompagner cette création. J’ai eu également l’aide et l’appui de Marcela Santander, et de toutes les copines de la pièce Footballeuses.
L’Équipe de France féminine de football en 1920. Source : Gallica Bnf
Vulgariser l’histoire et qui plus est, réussir à adapter cette histoire au spectacle n’a pas dû être évident, quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?
Oh ma plus grande difficulté c’est que j’ai dû faire des choix pour que ce ne soit pas trop long ! Mais j’aurais voulu parler de plein d’autres choses ! Dans le livre de Laurence Prudhomme-Poncet (qui était à l’époque une des rares sources sur le sujet en France) j’ai été fascinée par exemple par les coupures de presse et les interviews d’époque, dans les années 20 et dans les années 60, j’aurais voulu tout mettre. Du côté personnel il y a aussi des petits trucs dont j’ai du me séparer pour plus d’efficacité dans le discours. Je ne dis pas par exemple que Roger Lemerre était le petit cousin de ma grand-mère et que je lui avais écrit une lettre pour avoir un autographe de Lilian Thuram, mais que je ne l’ai jamais envoyée…
Quelles valeurs souhaitez-vous transmettre à travers cette conférence ?
L’esprit critique je crois que c’est une valeur fondamentale. L’esprit d’équipe c’est bien mais il n’y a pas besoin de moi pour ça. Jouer ou regarder du foot c’est un vrai kiff pour la moitié de la planète, c’est le sport numéro 1 sur 3 continents, c’est pratiqué par des millions de personnes et ça brasse des milliards de dollars. Mais on a le droit de s’interroger sur ce qui est séduisant. On a le droit d’aimer le foot sans souscrire aux dominations qu’il met en place. On se doit de les détourner, et de remettre en cause les représentations et les prétendues vérités qu’il véhicule. Au nom même de notre plaisir.
Le sport et le théâtre sont deux milieux qui se rencontrent peu, comment avez-vous eu l’idée de performer sur ce sujet ?
Ça se rencontre beaucoup en réalité. Plus qu’on ne le pense. J’ai commencé par travailler sur ces endroits de rencontre : ma conférence s’ouvre sur une interview de la comédienne et ancienne footballeuse Océane Caïraty. Cette discussion avec elle sur les points communs et les différences entre les deux pratiques était vraiment riche.
Pasolini aussi a écrit sur le foot par exemple. Comme beaucoup d’artistes il était fasciné et sans doute un peu jaloux par cette capacité du sport à déplacer les foules et à faire vivre des émotions d’une intensité incroyable. Il y a aussi ce fantasme du sport de masse, qui vendrait toucher des gens que l’art officiel ne toucherait pas. C’est une fiction politique pour le meilleur et pour le pire… Il y a autant de relans démocratiques que fascistes dans le foot.
Pensez-vous que les JOP 2024 impulsent un nouvel intérêt de la culture pour le sport ?
Dans ma conférence je cite une phrase extrêmement misogyne de Pierre de Coubertin, réinventeur des si “humanistes” Jeux Olympiques il y a une centaine d’années. Je vous avoue que ces JOP me font plus peur qu’autre chose. Je n’ai aucune confiance de principe dans les institutions sportives et le rayonnement de leurs supposées valeurs. La coupe du monde féminine en France n’a pas eu que des conséquences positives pour les joueuses. Dans le sport comme dans la culture, il me semble que les véritables avancées continueront à se faire par le bas.
Par ailleurs, les “olympiades culturelles” et autres grandes commandes publiques pour des projets art et sport en 2024 ne viendront pas masquer l’écrasement du secteur qui se profile pour l’année prochaine. Les JO profiteront sûrement à certains, mais à la culture je ne crois pas, ni à l’émancipation en règle générale. Mais j’aime bien être surprise, nous verrons !