1919: La Première Guerre mondiale est terminée. Le sol et les peuples européens sont martyrisés. Plus encore, la société a profondément changé : les hommes prennent conscience de leur capacité d’autodestruction mais aussi des aspirations féminines à s’émanciper. Pendant quatre années les femmes ont remplacé les hommes dans les usines et sur les stades : elles veulent désormais continuer à courir, lancer, sauter, nager, jouer comme leurs frères et leurs maris.
Ces revendications trouvent un formidable élan dans les clubs féminins qui se créent depuis une décennie – en premier lieu Femina Sport dès 1912. Et elles trouvent une formidable porte-parole en une nantaise en trente-cinq ans, championne d’aviron et amatrice d’athlétisme : Alice Milliat. Alors qu’elle demande à Coubertin et au CIO l’introduction d’épreuves féminines d’athlétisme aux JO, ces derniers refusent. Milliat trouve alors du soutien à Monte-Carlo où elle organise dès 1921 des Olympiades réservées aux sportives.
Une expérience réussie qui lui démontre la nécessité d’ambitionner plus grand : organiser des Jeux mondiaux féminins – l’appellation Olympiques lui est refusée – qui se tiennent pour la première fois le 20 août 1922 au stade Pershing de Paris. Une centaine d’athlètes y participent, dont la française Lucie Bréard, victorieuse du 1000 m en 3 min 12 secondes (record du monde).
Les Jeux sont reconduits à trois nouvelles reprises en 1926, 1930 et 1934, et disparaissent en même temps que se retire leur fondatrice, au cœur d’une décennie qui voit la consécration du fascisme européen.
2022: Les Jeux de Paris se tiennent dans moins de deux ans. Les organisateurs ont choisi de faire de la parité l’objectif ultime de l’Olympiade française. L’événement sera le premier de ce type strictement paritaire, annonce la communication officielle. Une réelle avancée qui ne doit pas cependant être prise comme finalité du développement du sport au féminin, et qui ne doit pas occulter les immenses inégalités – notamment économiques – et les nombreuses violences que connaissent les athlètes femmes et LGBTQI+ au quotidien.
Face aux barrières structurelles, Alice Milliat nous a appris il y a un siècle que la revendication militante, la formation en clubs et l’organisation de grandes compétitions « vitrines » de ces luttes étaient essentielles. Elle nous a appris que l’absence de volonté politique n’était pas une fatalité, que les changements culturels étaient avant tout du ressort de la conscience collective, de la sensibilisation et de la reconnaissance populaire des championnes. Elle nous a appris que souvent l’Histoire est ingrate et ne reconnait pas ses plus grandes figures : elle meurt en 1957 dans l’anonymat, sa pierre tombale ne portant même pas son nom.
Alors écoutons Milliat, apprenons d’elle et des autres pionnières des « années folles », trop longtemps méprisées par la mémoire commune. Souvenons-nous des championnes d’hier pour faire davantage briller celles d’aujourd’hui. Et célébrons, cent ans après, cette année 1922 qui voit se diffuser la figure sportive de Monique Lerbier – héroïne du roman à succès La Garçonne – et se tenir les premiers Jeux mondiaux féminins. Célébrons pour que jamais les progrès en termes de parité, de mixité et de reconnaissance des athlètes de tous genres ne soient remis en question.
Célébrons le 20 août 1922.
Romain Cauliez