Entraîneure nationale, Christine Gossé nous invite à découvrir son quotidien avec les équipes féminines d’aviron

23 janvier 2021

À l’occasion de l’opération « Sport Féminin Toujours » lancée par le ministère des Sports et le CSA, Femix’Sports s’associe au nouveau média digital ÀBLOCK! pour mettre en lumière les métiers de la sphère sportive, ces métiers à féminiser d’urgence pour davantage d’équité et d’équilibre dans cet univers encore trop masculin. 10 métiers, 10 femmes, 10 témoignages.

 

 

Médaillée olympique d’aviron, aujourd’hui responsable des équipes de France féminines d’aviron Élite et U23 ainsi que du Pôle France à l’INSEP, elle a sauté du bateau pour atterrir sur le ponton depuis lequel elle coache son équipe de France féminine. Passée par l’entraînement des équipes masculines et les plus grandes compétitions internationales, Christine Gossé ne lâche jamais les rames, que ce soit pour gagner un podium ou pour offrir de meilleures conditions à ses athlètes. Un capitaine de choc à suivre !

 

« J’ai commencé l’aviron par hasard, en benjamine, à l’âge de 11/12 ans. Ça m’a tout de suite plu car on était en extérieur, on vivait les saisons… Très vite aussi, j’ai aimé les compétitions, j’ai ça au fond de moi, l’âme d’une gagnante ! À force de sacrés coups de rame, je me suis retrouvée médaillée aux Championnats du monde junior. À 19 ans, en 1984, j’étais aux Jeux Olympiques d’été de Los Angeles puis à ceux de Séoul en 1988, ceux de Barcelone en 1992 où on se classe quatrième après une course de folie dans laquelle, 100 mètres avant la ligne d’arrivée, nous étions deuxièmes… J’ai terminé, à 32 ans, avec une médaille de bronze, en 1996, à Atlanta.

 

Durant les quatre dernières années de ma carrière sportive, j’étais institutrice, je faisais des remplacements car je ne pouvais pas avoir une classe à l’année. Ça a été une période fatigante, mais hyper enrichissante, à osciller entre différents niveaux d’âges, de la maternelle au CM2. Lorsque j’ai arrêté ma carrière sportive, j’ai trouvé dommage de ne pas capitaliser sur mon expérience, la transmission des savoirs et ma passion de l’aviron. Je suis donc sortie du bateau mais pour monter en canot moteur… J’ai alors passé le concours du professorat de sport et j’ai démissionnée de l’Éducation nationale pour intégrer le ministère des Sports. J’ai entraîné l’équipe de France junior pendant trois ans et nous avons été les premières médaillées d’or aux Championnats du monde junior en 1999. Je suis ensuite passée chez les seniors en 2000, puis de 2001 à 2004, j’ai entraîné les élites femmes pour les JO d’Athènes avec un résultat prometteur de septième place.

 

Entre 2005 et 2012, j’ai aussi entraîné l’équipe de France masculine et notamment l’équipe olympique à partir de 2007 (ils feront troisième) jusqu’à Londres en 2012 où ça s’est malheureusement terminé sur un échec de performance.

 

Actuellement, même si je n’entraîne que des femmes (depuis 2013), je suis multi casquettes : responsable des équipes de France féminines d’aviron Élite et U23 ainsi que responsable du Pôle France à l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance, ndlr). Dans les deux cas, j’entraîne et notamment pour les JO de Tokyo.

 

Je suis un peu le couteau-suisse de l’équipe. Il faut savoir tout faire : conduire les remorques, réparer quelques bateaux et évidemment, en tant qu’entraîneur, s’occuper de la préparation physique et psychologique au quotidien de ses équipes. Ensuite, en tant que chef de secteur et des équipes de France féminines, je manage afin de préparer au mieux chaque échéance de compétition avec mes entraîneurs.

 

Nous avons un programme d’entraînement commun à 90 % avec toutes les équipes – même avec l’équipe masculine. En effet, nos rameuses ne s’entraînent pas toutes aux mêmes endroits or il est important que l’équipage ait le même entraînement et arrive en forme au même moment pour travailler de façon optimale. Je n’ai pas hésité aussi à élargir mon staff de collaborateurs en prenant des gens de l’extérieur pour avoir de nouvelles compétences au sein de l’équipe, comme des psychologues par exemple.

Comment j’en suis arrivée à ne coacher que des femmes ? Il faut savoir qu’en 2012, il n’y avait pas de rameuses aux Jeux Olympiques car aucune ne s’était sélectionnée. À l’époque, je terminais avec mon équipe masculine et, pour être passée par là, j’étais triste qu’il n’y ait pas d’équipe féminine aux Jeux. À partir de 2013, le nouveau DTN (Directeur Technique National) m’a confié la mission d’en remonter une. J’ai foncé sur le projet !

Avant, il n’y avait qu’une seule équipe de France, les entraînements filles/garçons se faisaient en mixte et l’encadrement était essentiellement masculin. J’entraînais les femmes mais, en 2004, j’ai été remplacée par un collègue homme… Le problème ? Personne ne voulait entraîner les femmes car elles n’étaient soi-disant pas de bon niveau et prendre ce poste était simplement un moyen d’entrer dans le groupe des entraîneurs. Dès que possible, ils laissaient tomber les femmes… Alors, quand on m’a proposé de monter une équipe de filles, j’ai trouvé ça super. Enfin une motivation pour l’équipe féminine !

 

Du coup, je vais au bout, je ne fonctionne qu’entre femmes ou en tout cas je tente de féminiser le plus possible l’encadrement, de manière à fidéliser les entraîneurs – même masculins – qui entrent dans ce projet. Je me suis aussi battue tous les ans pour accroitre le budget parce que l’équipe masculine avait le double et n’avait pourtant pas le double de médailles par rapport à nous… Et, tout de suite, mon idée a vraiment été de créer une identité, que mes athlètes et tout le staff d’encadrement aient envie d’appartenir à une entité. D’où l’importance des moments conviviaux !

 

Et les résultats sont arrivés… En 2016, pour les JO de Rio, je qualifie deux des bateaux de l’équipe féminine dont l’un d’eux fait cinquième. C’était l’euphorie ! Et puis, il y a eu des médailles en Coupe du monde.

 

En tant qu’entraîneur, je ne parle pas beaucoup, je ne fais pas facilement de compliments, mais je crois que l’attitude, la posture et le regard que j’affiche sont très importants pour mes équipes. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce propos : le double de filles que j’entraînais pour Rio passent en finale à sa première Coupe du monde. C’était un exploit à cette époque ! Et puis, elles font sixième, ça ne se passe pas très bien. Rebelote l’année d’après, elles arrivent en finale mais, cette fois-ci, je n’explose pas de joie sur le ponton, je ne montre rien lorsqu’elles accostent. Le soir, elles me disent que je n’ai pas l’air contente. Je leur réponds que ce n’est plus un exploit maintenant et que j’attends qu’elle monte sur le podium. Elles se sont alors regardées toutes les deux et m’ont dit : « Tu crois qu’on peut être médaillées ? »

Les bras m’en sont tombés. Je leur dis : « Mais alors pourquoi vous vous entraînez ? C’est évident que c’est pour monter sur le podium ! ». Et c’est là que j’ai senti toute cette non-confiance qu’ont les rameuses depuis ce trou de génération chez les féminines. Je me suis dit « Il y a du boulot » !

Elles ont été des pionnières en gagnant des médailles, elles ont montré le chemin. Ce jour-là quand je suis allée les chercher sur le ponton, je me suis dit intérieurement « Tu ne bronches pas sinon elles vont croire que c’est bien ! ». Mon but est de les emmener toujours plus loin !

 

En aviron, il faut beaucoup de travail, de rigueur, d’endurance et de force physique. Les entraînements sont assez usants donc il ne faut pas lâcher, ça se joue aussi beaucoup sur le mental. C’est vraiment ce qui va faire la différence, même si l’on tente des techniques d’entraînement hors normes. Sur la ligne de départ, si on a confiance en soi et qu’on ose, ça va marcher. Et mon rôle d’entraîneur est primordial là-dedans : si elles ne sont que deux à ramer dans le bateau, on est trois en réalité à être embarquées dans l’aventure. C’est une interaction basée sur la confiance. À côté de ce travail acharné, dans les moments de stage, je propose toujours des moments de convivialité, je fais un peu l’animation comme une après-midi galette et tournoi de baby-foot ! Ça permet de souder le groupe.

 

Il y a des différences à entraîner des hommes et des femmes. Le plus souvent pour les hommes, lorsqu’ils sont mobilisés pour un projet, peu importe avec qui ils vont ramer. Si le choix est justifié, ils ont cette force de voir plutôt la victoire à aller chercher. Sans y voir quelque chose de péjoratif, bien sûr, c’est simplement quelque chose que j’ai remarqué après des années d’encadrement, mais chez les femmes, c’est souvent un peu plus compliqué de faire un équipage si elles ne sont pas toutes copines. Quand il y a conflit chez les mecs, ça se règle souvent par une franche discussion, une tape dans la main et on repart. Pour les filles, ça peut prendre plusieurs semaines, voire des mois à se régler.

 

Quant à savoir s’il est plus difficile d’entraîner des hommes que des femmes quand on est soi-même une femme, je dirais que tout est dans la tête. Quand on m’a proposé d’entraîner un bateau olympique de l’équipage masculin en 2007, il n’avait pas fait de médailles aux Championnats du monde depuis plus de vingt ans. Lors du premier stage, je me suis dit : « J’y vais ou j’y vais pas ? » et puis, très vite, j’ai eu un sursaut :  « Et pourquoi c’est moi qui me pose des questions quant à mes compétences ? » et j’ai relevé le challenge.

Je me suis alors rendu compte que les hommes n’attendent qu’une chose de leur entraîneur : qu’il soit compétent et les fasse monter sur le podium ; que ce soit un homme ou une femme, peu importe. Par contre, j’ai énormément bossé pour me démarquer des entraîneurs hommes car ils n’avaient connu que ça ! Je me suis formée à plein de choses et ça nous a rapporté une deuxième place aux championnats du monde de 2007. C’était une révolution : il n’y avait pas eu de médaille depuis plus de 20 ans !

 

En général, pour exercer ce métier, il faut garder la tête froide et savoir sur qui s’appuyer et discuter en cas de difficultés pour apaiser la situation. Il vaut mieux privilégier quelqu’un d’extérieur et de neutre mais qui connaît bien le monde du sport de haut niveau.

 

Être une femme dans ce métier n’est pas toujours facile, notamment sur le plan des conditions de travail. Parfois, on doit porter seule un bateau moteur très lourd jusqu’à l’eau, ce n’est pas toujours adapté. L’autre point, c’est qu’il n’est pas facile de conjuguer vie pro et vie perso : quand on bosse en équipe de France, on est très souvent en déplacement car nos équipages sont éparpillés aux quatre coins de la France ou alors nos stages se déroulent sur de longues périodes. Il faut avoir un compagnon ou une compagne qui tienne la route ou… être célibataire. Enfin, le milieu de l’aviron à haut niveau est très masculin, il n’y a jamais eu de président femme ni de DTN femme et ce n’est pas près d’arriver !

 

Pour les femmes qui souhaitent s’orienter dans cette voie professionnelle, je les engage à travailler la confiance en elles : si on bosse et si on s’investit, il n’y a aucune raison de ne pas réussir. Et je leur dirais : « En cas de doutes, de difficultés, n’ayez pas peur de demander de l’aide. » Car, contrairement à ce que pensent trop souvent les femmes, ce n’est pas faire preuve de faiblesse. »

 

*Devenir Entraîneur :

 

En résumé, l’entraîneur d’une équipe de sport motive les troupes pour augmenter les performances et créer une cohésion de groupe. Il maîtrise les processus d’apprentissage et sait les transmettre grâce à un programme d’entraînement, travail dans lequel il est épaulé par un staff technique, médical et de préparateurs physiques. Il est responsable des résultats.

 

Quelle formation ? Pour devenir entraîneur, il faut avoir été sportif de haut niveau et être diplômé. Différents diplômes conduisent à cette fonction : le DEJEPS en Niveau bac + 2 spécialité perfectionnement sportif (diplôme d’Etat de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport), le DESJEPS en niveau bac +3, spécialité performance sportive (diplôme d’Etat supérieur de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport), un master STAPS-EOPS (entraînement et optimisation de la performance sportive). L’INSEP, dans le cadre de la formation continue, délivre aussi des diplômes professionnels. Enfin, on peut passer les concours de professeur de sport (d’une discipline) du ministère des Sports, qui peut se préparer à l’INSEP ou dans les CREPS (Centres de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportive).

 

Pour en savoir + sur les emplois et métiers de la sphère sportive, direction le site du ministère des Sports

 

Le témoignage de Christine a été recueilli dans le cadre de notre opération visant à féminiser les métiers du sport. En partenariat avec « ÀBLOCK! Le sport qui fait bouger les lignes », nouveau média digital sur les femmes dans le sport.

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© illustration : Lisa Lugrin

 

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